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Article écrit par Marc Ryszkowski (Doctorant spécialiste de l'architecte Ludwig Lévy à l'université de Bamberg en Allemagne) suite à sa visite à Metz en décembre 2022 et traduit en français par l'association de sauvegarde du temple.
L'architecte Ludwig Lévy, né en 1854 à Landau, compte parmi les architectes les plus importants de l'histoire récente du sud-ouest de l'Allemagne. Dès le début de sa carrière d'architecte en 1882, Ludwig Lévy s'est occupé non seulement de bâtiments profanes mais aussi de projets d'édifices religieux protestants et juifs.
Entre 1883 et 1907, il a conçu douze synagogues et plus de cinq églises protestantes, qui ont toutes été construites. Il a également réalisé quelques projets pour des concours qui n'ont pas été réalisés. C'est surtout en tant qu'architecte de synagogues qu'il a acquis une reconnaissance dans les Länder de l'Empire allemand et au-delà.
Les édifices religieux de Lévy illustrent l'évolution générale de l'architecture et du style depuis le dernier quart du 19ème siècle jusqu'à sa mort inattendue en 1907. À l'exception de la synagogue de La Chaux-de-Fonds en Suisse (1896) et d'une partie de la synagogue de Bingen (1905), ses synagogues ont été entièrement détruites sous le régime national-socialiste. Ses églises protestantes conservées à Olsbrücken (1884-1885), Bexbach (1888-1889), Weilerbach (1897-1898), Metz Queuleu (1901-1904) et Siegelbach (1907) sont ainsi le dernier témoignage matériel de son architecture religieuse en Allemagne et en France et constituent, dans leur contexte historique et régional respectif, un précieux document d'époque. Elles constituent en outre un point de référence important, notamment pour l'étude scientifique de l'architecte Ludwig Lévy - y compris pour ses synagogues qui n'existent plus.
L'église protestante de Queuleu et la synagogue de Winnweiler (1900-1901/ détruite en 1938) forment, de par la proximité temporelle de leurs constructions, une paire d'exemples de ses réalisations datant du tout début du 20ème siècle. Elles se situent à l'époque de la nomination de Lévy au poste de conseiller en construction du Grand-Duché de Bade. Avant cette nomination, il était déjà professeur depuis plusieurs années à l'école de construction de Karlsruhe. Parmi les matières qu'il enseignait figuraient, outre la "conception et le dessin de plans d'œuvres", la "théorie des formes de construction" et la "théorie des formes ornementales".
Avec des caractéristiques stylistiques et des qualités spatiales similaires, la synagogue de Winnweiler et le temple protestant de Queuleu illustrent par leur conception et leur histoire, le contexte historique de leur création et renvoient ainsi au cadre sociétal de la commande à cette époque.
Les deux bâtiments présentent, surtout à l'extérieur, des caractéristiques du style national "wilhelmien", un historicisme éclectique qui se réfère à des éléments de style roman associés à des formes de construction modernes. Tandis que leur agencement spatial tient compte des directives liturgiques et religieuses respectives, les caractéristiques de conception revêtent dans ce contexte une importance iconographique particulière.
Le premier projet de construction religieuse de Lévy dans le "Reichsland Elsass-Lothringen" est la synagogue de Strasbourg, inaugurée en 1898 dans un style néo-roman, qui présente une ressemblance frappante avec un projet de concours réalisé à la même période pour un temple protestant à Karlsruhe. C'est la première synagogue de Lévy à présenter ces éléments de conception qui caractériseront ses synagogues à partir de ce moment et cela jusqu'au passage aux formes typiques de l'art nouveau au début du 20ème siècle. Ses synagogues conçues avant Strasbourg se caractérisent en premier lieu par une utilisation éclectique d'éléments stylistiques orientalisants.
C'est la situation géopolitique particulière du nouveau "Reichsland" qui conditionne la conception de la synagogue de Strasbourg. L'idée d'un style national allemand, cultivée au XIXème siècle, connaît un essor dans les nombreux projets wilhelmiens de construction et de transformation, dont les points de cristallisation les plus connus sont par exemple la "restauration" du château de la Haute-Reine près de Schlettstadt, mais aussi de nombreux projets de construction à Strasbourg et à Metz. L'utilisation de formes stylistiques romanes comme recours architectural à l'époque des Hohenstaufen devait créer dans les régions occupées la conscience d'appartenir à l'Empire allemand sur la base d'un passé idéalisé.
En particulier, le projet de Lévy pour la synagogue de Strasbourg exprime l'appartenance culturelle et la fidélité de la communauté synagogale strasbourgeoise qui, en tant que minorité religieuse et culturelle, doit affirmer son appartenance à la société, en particulier au nouveau "Reichsland Elsass-Lothringen".
Le projet de Lévy pour l'église évangélique de Queuleu, inaugurée en 1904, repose fondamentalement sur les mêmes motifs de la réception wilhelmienne du Moyen-Âge, auxquels s'ajoute toutefois l'aspect de l'habitus national-religieux d'une communauté évangélique de la diaspora. Le soutien financier, mais surtout l'intervention de l'Empereur dans les détails du projet, témoignent de la grande importance politique accordée au bâtiment, qui s'exprime notamment dans la conception de l'édifice.
À Queuleu, cela se traduit dans le détail par une conception extérieure qui combine des éléments d'architecture religieuse romane et gothique avec l'idée contemporaine d'une "architecture de château médiéval".
La façade, divisée en petites parties et de manière organique par des tours, des piliers et un transept, est entièrement recouverte de pierres de taille en grès des Vosges qui, malgré leur format relativement petit, rappellent des pierres de taille en forme de bosse. La disposition asymétrique du plan, les fenêtres de petit format et l'impression d'ouvertures murales obstruées, par exemple au niveau des tours et de l'abside (fig. 1 et 2), accentuent encore le caractère organique et historisant du bâtiment.
fig. 1
fig. 2
En ce qui concerne les détails ornementaux de la construction, Lévy recourt en grande partie à des éléments stylistiques romans et gothiques abstraits, comme les chapiteaux des bifores dans la zone de l'abside (fig. 3) ou la frise du tympan du portail principal (fig. 4).
fig. 3
fig. 4
Par ailleurs, on trouve déjà des influences de l'Art nouveau, comme par exemple dans la conception du linteau de la petite conque (fig. 5) et surtout dans la zone de l'ouverture du pignon en forme de trèfle au-dessus du portail principal (fig. 6).
fig. 5
fig. 6
Ces tendances stylistiques se sont poursuivies dans l'aménagement intérieur et les détails de décoration conservés de l'époque de construction. La comparaison avec les autres projets d'église de Lévy permet de conclure que le temple de Queuleu avait à l'origine une décoration différenciée des murs et des plafonds et qu'elle disposait en outre de détails d'aménagement qui n'existent plus dans le bâtiment actuel. Le crépi structuré en surface à l'intérieur date très probablement d'une phase de rénovation ultérieure.
Ainsi, dans la zone de la tribune latérale, on trouve des chapiteaux romans abstraits (fig. 7), tandis que les chapiteaux des piliers principaux, en tant que composition géométrique, ne présentent plus qu'une décoration en écailles comme réminiscence historisante (fig. 8). L'ornementation en écailles se retrouve également comme motif dans une partie de la décoration des fenêtres (fig. 9).
fig. 7
fig. 8
fig. 9
En outre, le caractère de château fort de la façade se retrouve dans le détail, entre autres sous la forme du couvercle acoustique de la chaire (fig. 10), des encadrements de porte crénelés (fig. 11) et des pentures et ferrures de porte simples et visiblement fabriquées à la main (fig. 12), ces dernières révélant à nouveau de nettes influences de l'Art nouveau. Il en va de même pour la balustrade de la tribune, placée dans un angle. (Fig. 13) Les vitraux de l'époque, géométriques dans leur ensemble et floraux entre autres au niveau des roses des fenêtres, présentent deux croix pattées au niveau des bifores du chœur, ce qui constitue un détail architectural remarquable compte tenu du contexte historique de la construction de l'église (Fig. 14).
fig. 10
fig. 11
fig. 12
fig. 13
fig. 14
Outre ces détails d'aménagement spécifiques au bâtiment, les revêtements de sol en carreaux de ciment polychromes ornementés (fig. 15) et les lampes murales (fig. 16), probablement fabriquées à l'époque de la construction et fonctionnant à l'origine au gaz, apparaissent comme des produits fabriqués en série et utilisés pour des raisons économiques.
fig. 15
fig. 16
La construction de l'espace de Lévy sous la forme d'un élargissement de tous les côtés d'une croisée centrale, l'alternance de voûtes en berceau et de voûtes d'arêtes et surtout l'installation des tribunes au-dessus de la tour comme point d'angle du plan d'ensemble sont celles d'un espace sacré moderne et fonctionnel qui, entre autres par l'installation d'une salle paroissiale fermée dans le chœur proprement dit, tient compte de manière équitable des exigences d'une paroisse protestante au début du 20ème siècle. Mais l'église protestante de Queuleu est aussi une déclaration politique, en particulier dans sa conception stylistique, et met en œuvre une grande partie de ce qui a déjà été exprimé dans l'appel aux dons qui a précédé la construction (Appel aux dons pour la construction d'une église protestante à Plantières-Queuleu en Lorraine, avril 1897, Archives départementales de la Moselle, Metz, 7-AL-221.).
La construction de l'église est motivée par le fait que "sur le sol historique de la Lorraine, qui a vu les dragonnades de Louis XIV et l'extermination des nombreuses communautés huguenotes, une nouvelle église protestante pourrait également être un nouveau point de repère de la liberté de croyance, un nouveau point de cristallisation de la germanité" afin de "promouvoir et d'animer l'amour de l'empereur et de l'empire par l'intérêt religieux".
A peu près en même temps que le début de la construction de l'église protestante de Queuleu, Ludwig Lévy conçut la synagogue de la localité palatine de Winnweiler, qui appartenait à l'époque au Royaume de Bavière. Après sa destruction en 1938, le bâtiment n'a été conservé que dans quelques rares photographies. On peut néanmoins établir des parallèles avec le temple de Queuleu comme l'aménagement extérieur et la construction des pièces.
Même sans l'élément d'une croisée centrale, Ludwig Lévy crée, grâce à la position angulaire de la tour, à la disposition des galeries et à l'espace apsidique du sanctuaire de la thora, une situation spatiale organique qui se reflète dans les détails de conception de l'édifice. Les caractéristiques de l'aménagement extérieur pertinentes pour Queuleu se retrouvent en grande partie à Winnweiler, avec des nuances. Cela commence par les petites fenêtres et la structure de la façade, le recours à des éléments de style roman et gothique (fig. 17 et 18), jusqu'à des éléments archaïsants comme les piliers de soutien à la jonction avec l'abside pour le sanctuaire de la thora (fig. 19) et l'utilisation de pierres de taille non crépies comme caractéristique de la conception de la façade.
fig. 17
fig. 18
fig. 19
Une tendance similaire se dégage pour les rares détails intérieurs de la synagogue de Winnweiler qui ne peuvent être vérifiés en raison de la mauvaise qualité des sources. Les plus remarquables sont les chapiteaux des piliers de l'arc du chœur à la jonction avec l'abside (fig. 20). Il s'agit là aussi de compositions géométriques qui correspondent fondamentalement à l'aménagement intérieur et à la division de l'espace de Lévy à Queuleu.
Dans le cas des deux bâtiments, l'aménagement extérieur revêt une importance particulière, car il est adapté de manière quasi iconographique à l'environnement local, mais encore plus à l'environnement social. Alors qu'à Queuleu, il y a une référence architecturale explicite et donc historique, à Winnweiler, il y a un degré plus élevé de simplification stylistique et d'abstraction. Cela peut s'expliquer d'une part par la prise en compte des coûts de construction, mais aussi par l'intention créative qui sous-tend le projet. Le manifeste en pierre d'une religion nationale protestante à Queuleu, qui trouve ses points d'ancrage culturels dans l'interprétation du Moyen-Âge, est également confronté à une confession culturelle à Winnweiler.
La synagogue de Ludwig Lévy souligne à la fois la conscience des siècles passés de la vie juive en Europe centrale et l'appartenance culturelle à l'Empire allemand. Elle constitue ainsi - comme la synagogue de Strasbourg - un point final dans le débat mené tout au long du XIXème siècle sur la conception de la synagogue en tant que bâtiment sacré visible et perceptible.
fig. 20 source alemanniajudaica.de
Au-delà de leur caractère religieux, ces deux édifices sont des reflets des évolutions sociétales de l'époque. Enfin, ils témoignent de l'habileté de Ludwig Lévy en tant qu'architecte, qui sait répondre aux exigences créatives les plus diverses et associer le sens iconographique à une structure spatiale fonctionnelle. Alors que la synagogue de Winnweiler est perdue à jamais suite à sa destruction, l'église protestante de Queuleu doit absolument être préservée en tant que monument historique.